Compte-rendu de la table-ronde Agriculture familiales, une chance pour la planète…
05/02/2020
La table ronde est animée par Sébastien Marchand, chercheur en économie rurale au Cerdi. Il travaille plus particulièrement sur les pays d’Asie. Il rappelle les défis auxquels doivent faire face les agriculteurs pour produire suffisamment pour l'ensemble de la population mondiale. La FAO a donné la priorité à l’agriculture familiale (2019-2028) en lançant un plan d’action global pour éradiquer la faim.
Catherine Araujo-Bonjean, chargée de recherche CNRS, Cerdi
Catherine Araujo-Bonjean souligne que les agricultures familiales doivent assurer la sécurité alimentaire mais aussi répondre aux attentes des consommateurs dont les revenus ont augmenté dans les pays développés et en développement. Les consommateurs veulent une alimentation de qualité et qui ne détruise pas l'environnement.
La sécurité alimentaire est un problème particulièrement épineux dans les pays en développement, notamment les pays les moins avancés qui, pour la plupart, sont situés en Afrique au Sud du Sahara. La pression démographique est forte et le taux d'urbanisation augmente régulièrement dans ces pays qui vont devoir nourrir une population croissante et lui fournir des emplois. Le secteur agricole doit pouvoir fournir des emplois et des revenus décents à la population rurale. Cette question se pose chez nous également puisque l'on sait que les agriculteurs familiaux sont dans la tranche la plus basse des revenus.
Les agriculteurs du Nord et du Sud doivent également faire face au changement climatique dont nous pouvons tous ressentir les effets. Ils se manifestent par des perturbations des régimes de pluies, par des températures qui augmentent. Les agriculteurs doivent faire preuve de flexibilité pour s'adapter à cet environnement plus difficile. "Les sécheresses sont plus fréquentes, comme l'an passé en Auvergne, et parfois des inondations au Sahel peuvent être aussi destructrices que les épisodes secs". Le secteur doit contribuer à l'atténuation du changement climatique, ce qui est un défi majeur alors qu'il est à l'origine d'une part importante des gaz à effet de serre. Il faut donc que les agriculteurs se lancent dans de nouveaux modes de production. Il doivent produire plus tout en préservant les ressources naturelles qui sont de plus en plus dégradées, notamment le foncier et les ressources en eau.
Tous ces défis auxquels sont confrontés les agriculteurs sahéliens, notamment ceux du Niger, que Catherine connaît le mieux, semblent sans solution. Elle considère que c'est l'occasion de changer profondément les modes de production, de transformation mais aussi de consommation et de recyclage des produits alimentaires.
Elle conclut : "Sinon, on ne s'en sortira pas. Donc, je dirais tous solidaires, tous dans le même bateau. Cette affaire de la sécurité alimentaire et de la durabilité, ce n'est pas que l'affaire des agriculteurs. Bien sûr, ils sont à la base de la chaîne mais c'est bien l'affaire de tout le monde et de nou,s consommateurs, en particulier".
En introduction, Jean-Michel Sourisseau insiste sur le fait qu'il n'a pas de solution miracle mais des questions.
"Je vais essayer d’être relativement bref et de centrer mon propos sur le Sahel, sur la zone sahélienne ; je ne connais pas suffisamment l’agriculture des pays du Nord et je ne connais pas la région du tout". Il rappelle que la transition agroécologique n'est pas seulement la transformation d'un modèle intensif conventionnel mais qu'elle permet également "d'accompagner des agricultures peu productives, pauvres et avec peu d'atouts vers des modèles plus respectueux de l'environnement. Cette transition qui est peut-être moins dans les radars, moins discutée dans les médias est tout aussi importante".
L'agriculture des pays de la zone sahélienne doit faire face à de nombreuses contraintes et les modèles de révolutions agricoles appliqués dans d'autres zones géographiques ne sont pas réplicables dans ces pays. En Afrique subsaharienne, la croissance démographique est très forte, la moyenne est de sept enfants par femme, "cela représente un doublement de la population tous les trente ans", les besoins en emplois seront prédominants. "On estime qu'en 2050, il y aura quarante millions de nouveaux candidats à l'emploi. Ce qui est très important et assez inédit à l'échelle du monde". La population urbaine augmente fortement mais la population rurale aussi. Certains restent ou reviennent. Ainsi, "la moitié des quarante millions de nouveaux entrants sur le marché du travail seront en zone rurale". Il faudra donc des emplois dans l'agriculture. "Je pense que les modèles que l'on a appliqués ne pourront pas être reproduits au Sahel. En gros, on a fortement augmenté la productivité par travailleur du secteur ce qui a permis de réduire fortement le nombre d'agriculteurs" : de 50% à la fin de la Seconde Guerre mondiale à moins de 5% aujourd'hui. Ces évolutions ont favorisé la diversification économique. Ce modèle ne peut pas être appliqué dans le cas du Sahel, où on observe une désindustrialisation. "On perd aussi des emplois dans l'industrie et, dans le concert international, la participation du secteur manufacturier africain est négligeable".
Le secteur informel est également très important dans les économies sahéliennes. "En gros, on a 85 % de la population active dans l'informel" en zone rurale et urbaine. Jean-Michel Sourisseau remarque que l'on parle d'agriculture de subsistance et souligne la pauvreté de la population agricole. Cependant, la population qui vit de "l'artisanat de subsistance" a parfois des conditions de vie encore plus difficiles. Les autres secteurs d'activité de ces pays ne seront pas en mesure d'absorber la croissance de la population sur le marché du travail.
Autre défi, le changement climatique ; en effet, une "baisse des rendements est attendue. Le rapport du GIEC annonce des pertes pouvant aller jusqu'à 50 % sur les céréales". De nouveaux modèles agroécologiques pourraient être une solution pour faire face aux défis auxquels doivent faire face les agricultures familiales.
Alexis Blanc, agriculteur, Gerzat
Alexis Blanc vient de s'installer sur l'exploitation avec son père par passion pour ce métier et non par obligation. Il regrette l'image qui est généralement donnée des agriculteurs, comme nous pouvons le constater sur les réseaux sociaux. Les agriculteurs, notamment la nouvelle génération, est diplômée. Alexis est titulaire d'un BTSA. Selon lui, il est important que les agriculteurs soient bien formés pour faire face aux défis auxquels ils sont confrontés : produire suffisamment pour une population croissante tout en respectant l'environnement.
Son exploitation a une surface de 90 hectares ; "c'est à peu près la moyenne des exploitations en Limagne". Il produit du blé avec la filière Jacquet, du maïs semence avec la coopérative Limagrain mais aussi des produits maraîchers (pommes de terre, salades, carottes). Les marges sur les céréales comme le blé ou le maïs sont déterminées sur les marchés mondiaux. De plus, les cultures subissent parfois les variations climatiques. Les années de sécheresse comme celle de 2019, "c'est des années très difficiles pour nous". La production maraîchère en circuit court est très valorisante pour les agriculteurs. Les fermes à proximité de la ville comme la sienne subissent des contraintes mais en même temps cela leur permet de "faire de la vente directe très facilement".
"L'agriculture, comment je la perçois ? C'est une agriculture différente de celle qu'ont pratiquée nos parents et nos grands-parents". Les exploitations en agriculture raisonnée comme la sienne doivent respecter des normes. Elles utilisent des produits phytosanitaires mais à des doses raisonnées. Le sol est analysé tous les ans pour vérifier la quantité de reliquats de produits phytosanitaires et adapter les quantités selon les besoins des plantes. Du point de vue économique, les prix de vente sont déterminés par les coopératives et varient selon les cours sur les marchés mondiaux. Le développement des cultures maraîchères en circuit court est très intéressant puisque l'agriculteur est plus autonome pour fixer les prix.
Chantal Gascuel, agricultrice, Gerzat
Chantal Gascuel vient juste de prendre sa retraite. Avec son mari, elle a repris la ferme de ses parents qui étaient devenus propriétaires de la ferme. Quand ils se sont installés en 1983, ils ont fait le choix de créer un Groupement foncier agricole (GFA) pour que la ferme reste dans la famille. Les frères et soeurs ont gardé des parts sociales de cette exploitation céréalière de 80 ha. En 2003, ils ont choisi de convertir leur ferme à l'agriculture biologique, motivés par le fait que "le consommateur demande autre chose" et leur intérêt personnel pour une autre agriculture.
Voyant que les membres du GFA souhaitaient vendre leurs parts sociales et que les enfants "n'étaient pas intéressés par des parts avec une rémunération à 0,8 %, c'est pas terrible !", ils ont choisi de devenir fermiers d'un GFA avec Terre de liens. Ce mouvement acquiert des fermes qui doivent être en agriculture biologique avec de l'épargne citoyenne et solidaire. Avec son mari, Chantal Gascuel a gardé des parts sociales dans le GFA. En 2019, trois nouvelles personnes ont rejoint le groupement, un de leurs fils et deux de leurs amis. Leur projet est de produire des céréales, de la farine et de fabriquer du pain. "C'était pour nous une façon d'avoir pensé la transmission, d'avoir la sécurité sur l'usage du foncier, et de nous permettre pendant quelques années de transmettre notre savoir-faire". Toute la production de l'exploitation est vendue en Auvergne, et les volailles sont en vente directe. "L'idée est d'avoir une notion de territoire, on travaille au niveau local, comme beaucoup de collègues de la Limagne."
Chantal Gascuel souligne le fait que le revenu des agriculteurs, notamment pour les céréales, dépend des aides de la Politique agricole commune (PAC), un système qu'elle qualifie d'administrativement lourd. En tant que membre de l'association Solidarité Paysans qui accompagne les agriculteurs en difficulté, elle constate qu'ils sont "de plus en plus démunis face à cette lourdeur administrative".
Cependant, elle achève son intervention par "on est en 2020, et les nouveaux arrivants vont avoir la joie d'exercer le métier comme nous on l'a exercé".
Joël Magne, AFDI
Ancien professeur en lycée agricole, Joël Magne est un des membres fondateurs de l'association de solidarité internationale Agriculteurs français et développement international (AFDI).
Il rappelle qu'à la fin des années 2000, l'urgence climatique n'était pas une priorité ; par contre "on parlait déjà de nourrir 9 milliards de personnes en 2050". La préoccupation principale était la sécurité alimentaire. A la fin des années 2000, des pays du Sud ont commencé à revendiquer leur volonté de souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire sous-entend trois choses : la sécurité alimentaire, le social - le revenu des agriculteurs et le pouvoir d'achat des consommateurs - et l'aspect culturel. En France, l'aspect culturel est fondamental "parce que le Saint-Nectaire, on peut en faire partout dans le monde mais le vrai se fera dans la zone du Saint-Nectaire ; le Châteaugay, on peut en faire au Chili, en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande sauf que pour moi, du vin de Châteaugay, il n'y en a qu’à Châteaugay. Donc, ça c’est un point qui est important parce que ça remet le paysan au milieu du circuit."
En France, d'après Joël Magne, les agriculteurs étaient performants et "voulaient nourrir le monde" et aujourd'hui, ils sont dépassés par les agricultures de firmes. Par exemple, l'agriculture européenne a cru qu'elle pourrait conquérir de nouveaux marchés, notamment le marché chinois pour le lait. En fait, "en Chine, ce n'est pas la ferme des 1000 vaches mais celle des 100 000 vaches. La Chine assure sa souveraineté alimentaire et respecte les règles de sécurité alimentaire". Alors que les agricultures du Nord étaient concentrées sur la production à tout prix, les pays du Sud entraient dans la vague de plans d'ajustement structurel qui ont été lancés pendant la décolonisation. En 1995, Joël Magne a écrit un article intitulé Afroptimisme suite à une mission au Cameroun où il a rencontré des agriculteurs qui ont créé des regroupements et des fédérations. Ces agriculteurs ont lancé un débat sur la souveraineté alimentaire autour du poulet congelé importé des pays du Nord. Ils ont prouvé grâce à des analyses menées par l'Institut Pasteur que ces produits ne répondaient pas aux critères de qualité alimentaire et ont lancé une campagne de promotion de la production locale, le poulet bicyclette.
L'agriculture familiale a été réhabilitée, notamment par les Nations Unies qui ont proclamé l'année 2014 année internationale des agricultures familiales. Elle pourrait selon les estimations nourrir jusqu'à 12 milliards de personnes. Il existe des modèles très divers selon les pays et cette période "va nous amener à inventer de nouveaux systèmes".
L'AFDI a invité des responsables de mini-laiteries burkinabés lors du dernier Sommet de l'élevage (Clermont-Ferrand). Lors d'un débat sur "Produire et consommer local", les représentants des mini-laiteries ont montré comment, avec une production qui paraît faible (25 l. de lait par jour) en comparaison avec celle des fermes auvergnates, on peut faire vivre jusqu'à 15 personnes. Les producteurs de lait du Burkina sont déjà confrontés aux problèmes climatiques. On constate des problèmes de fourrage. Comme les agriculteurs du Massif Central qui ont créé la marque Montlait, ils ont créé la marque Faire Faso pour améliorer leurs revenus et concurrencer la poudre de lait importée des pays du Nord. Ils essaient aussi de conquérir des marchés institutionnels comme les cantines.
"L’agriculture familiale, une chance pour la planète ? Je réponds certainement et je rajoute pour la Lozère", le plus petit département français d'où il est originaire, "qu'elle est en tête du peloton parce que l’agroécologie, on en fait sans le savoir et des circuits courts, vous en avez à la pelle."
Pour aller plus loin
Site de la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale
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